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jeudi 25 avril 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Les médias : berceau de l’antiféminisme

Ou Pourquoi Fémi’news ?

 

En 1982, sur le plateau de Droit de Réponse, Michel Polac reçoit des militantes du Mouvement de Libération des Femmes. Parmi elles, Jacqueline Sag, à qui il demande sans détour : « Jacqueline Sag, ce sont vous autres du MLF qui avez lancé l’histoire du 8 mars. Est-ce que ce n’est pas, un peu, l’image que vous avez donnée de vous dans le grand public, c’est-à-dire des femmes assez violentes, à la limite de l’hystérie, qui réclament la castration de tous les hommes ? ». 

Entre sourires amusés et regards interrogateurs, Jacqueline Sag répond :  « Non, je crois que c’est l’image que les médias, c’est-à-dire des gens comme vous, ont voulu donner du MLF ». 

Aujourd’hui, de nouveaux médias militants font un travail majeur d’information, de sensibilisation et de déconstruction du patriarcat. Pourtant, et ce depuis l’aube du féminisme, les médias semblent redoubler d’efforts pour adopter des positions, des titres, des expressions antiféministes et masculinistes, usant de tous les moyens possibles et imaginables pour diaboliser, pathologiser ou ridiculiser le féminisme. Une fâcheuse tendance qui, sous couvert de débat idéologique, ne sert à rien d’autre qu’à ancrer un peu plus profond la culture du viol, l’impunité, le paternalisme et la misogynie. 

 

Les médias : ce milieu masculin

Des médias pensés par et pour les hommes…

Tout d’abord, comment ne pas souligner l’écrasante domination des hommes dans le milieu médiatique ? Ce n’est pas particulièrement étonnant qu’il soit impossible de lire ou d’entendre du contenu inclusif, non sexiste et non raciste, lorsqu’en France, les 10 milliardaires qui contrôlent nos médias sont 10 hommes blancs, qui comptent parmi les plus grandes fortunes de France. Dans une société qui se fonde sur les trois piliers d’oppression du capital, du genre et de l’origine, ce sont donc des individus au sommet de ces trois échelles qui pensent, écrivent, et diffusent l’information.

Cela explique donc pourquoi, sans grande surprise, les médias télévisés représentent en majorité des hommes, blancs, de CSP+, valides et ayant entre 35 et 49 ans. Par ailleurs, 81% des directeurs de rédaction dans les médias sont des hommes. Tant en coulisses que sur le plateau, les médias sont donc sous le joug oppressif du patriarcat et du sexisme, et diffusent toujours plus de misogynie, mettent en lumière toujours plus de violeurs, et critiquent toujours plus le féminisme. 

 

Un paysage médiatique taillé pour la parole des hommes

En plus d’être régis par les hommes, les médias surreprésentent les hommes en continuité. Une représentation largement inégale, qui ne manque pas de donner la parole et l’image à des personnes non concernées par les problématiques évoquées, voire même des coupables présumés ou avérés, et leur permettent absolument tous types de discours et d’agissements. 

Dans les affaires de viol ou d’agression sexuelle, les plateaux télé avides d’audience et de retentissement médiatique ne ratent pas une occasion de donner la parole aux agresseurs et violeurs, leur permettant de se dédouaner, de se victimiser, de mentir. Par exemple, le 10 mars 2020, le plateau de Quotidien reçoit Hervé Temime, l’ami et avocat de Roman Polanski, et lui donne la parole pour défendre « l’honneur » du violeur, pourtant déjà suffisamment protégé par l’Etat français. L’occasion pour l’avocat de minimiser le viol et de remettre en question la parole des victimes, en affirmant : « Il n’y a pas la moindre enquête (…) Ces X sont des femmes et des victimes qui n’existent pas » à propos des accusations qui visent le réalisateur. 

Dans cette même lignée, TF1 diffuse en octobre 2021 un reportage issu de l’émission Sept à Huit donnant la parole à Bernard Henric, gynécologue accusé de viols et d’agressions sexuelles par de nombreuses anciennes patientes. Il est interviewé en présence de son avocat et aux côtés de sa femme, laquelle contribue à créer un sentiment de sympathie voire même d’empathie envers le violeur – oui, je marche sur la présomption d’innocence. Elle affirme notamment : « Je crois en lui depuis tout temps. Je n’ai aucun doute sur son innocence. C’est douloureux par moments, mais nous sommes une famille unie et on le soutient tous. On le vit comme un cancer. On le combat. » Si la comparaison au cancer est déjà osée, l’inversion de la culpabilité l’est encore plus ; l’accusé, c’est lui, et non les victimes. Grave erreur, TF1, que de donner parole et visibilité à un présumé violeur – car si la présomption d’innocence s’applique pour remettre en question la parole des victimes, pourquoi n’appliquons-nous pas une présomption de culpabilité pour remettre en question la parole de l’accusé ? 

Car remettre en question la parole des victimes, l’avocat de Henric le fait avec brillo : « Vous n’allez pas voir votre gynécologue si vous l’accusez d’agression sexuelle ou même de viol, s’étonne-t-il. Il y a quelque chose d’assez lunaire dans les positions de certaines parties civiles ». Bien sûr, on retrouve le sempiternel argument du silence des victimes pendant des années, qui piétine sans vergogne la tétanie, la méconnaissance de la loi, la honte, le manque de ressources, et j’en passe. 

Si encore les médias se contentaient d’agir en (réels) avocats du diable, ce qu’ils font déjà bien maladroitement, on ne pourrait pas les accuser de sexisme assumé ni de misogynie concrète. Malheureusement, ils pulvérisent les frontières du correct, voire même du légal, en permettant et en encourageant la diffusion de propos et d’agissements ouvertement sexistes, et d’agressions en direct dans certaines émissions. Car oui, la liberté d’expression a ses limites, et je marche aussi dessus lorsqu’elle est instrumentalisée comme prétexte pour dire « Violez les femmes, je viole la mienne tous les soirs », à la manière d’Alain Finkielkraut sur LCI. Il y en a qui n’ont pas honte. 

Les médias investissent mal leur temps de parole, et leurs invités sont en roue libre, et pas seulement dans leurs discours : aussi, comment écrire un article sur le féminisme dans les médias sans mentionner le sale Pierre Ménès ? Toujours protégé et invité par les médias populaires sur leurs plateaux et dans leurs articles, Pierre Ménès est un modèle de sexisme. En 2021, la journaliste sportive Marie Portolano réalise le documentaire « coup de poing » Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, dans lequel elle expose et dénonce le système profondément sexiste du journalisme, à grand renfort de témoignages. Elle dénonce particulièrement Pierre Ménès, pour avoir soulevé sa jupe en coulisses, mais également pour avoir embrassé de force Isabelle Moreau en 2011 sur le plateau de C+. Une agression sexuelle d’après l’article 222-22 du Code Pénal : 

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. »

Ces deux scènes figurant dans le documentaire ont été jugées « compromettantes » par Canal+, qui a donc délibérément censuré les passages impliquant Ménès. Ce qui corrobore les propos de la sociologue spécialiste de sport et de genre Catherine Louveau dans le documentaire : « Vous êtes constamment ramenée à votre statut d’objet sexuel accessible et consommable ». Enfin visiblement, consommable tant que les chroniqueurs ne sont pas accusés de violences sexuelles…

Invité plus tard sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste, encore une grande foire du sexisme au passage, Pierre Ménès a reconnu éprouver des « regrets », mais a également déclaré « Evidemment que je ne le ferais plus aujourd’hui, avec #MeToo, on ne peut plus rien faire, plus rien dire ». Bien évidemment, on retrouve ici le passe-temps favori des antiféministes : faire passer le féminisme pour un mouvement « rabat-joie », dans une logique de censure, qui entrave le dialogue et surtout, qui nous empêche de rire. Dommage, c’était si drôle…

 

La diabolisation et la pathologisation du féminisme

Les féministes : ces chieuses

Faire passer les féministes pour les « casseuses d’ambiance », avec qui « on ne peut plus rigoler », c’est l’arme de prédilection de l’antiféminisme, à l’image de cette une de Valeurs Actuelles intitulée « Comment les féministes sont devenues folles », avec pour sous-titre :

« Elles censurent notre culture, insultent la police, fantasment le « patriarcat », s’assoient sur la présomption d’innocence, dégradent la langue française, préfèrent le foot féminin, demandent l’égalité aux WC, cassent l’ambiance en soirée… »

Ce sont des exemples couramment utilisés pour réduire les discours féministes au silence, et pourtant on ne s’attendrait pas nécessairement à le lire en couverture d’un média plutôt influent… Et puisque nous féministes, sommes fatiguées d’entendre ce genre de rhétorique, Valeurs Actuelles, je vous réponds :

Si pour vous la culture, ce sont les vieux porcs qui vous servent d’artistes, et qui violent en tout impunité, alors je la censure avec plaisir. 

Si je dépose une plainte pour viol et qu’en retour on me traite de « sale pute », alors oui, j’insulte la police. 

Si vous sentez le besoin de mettre des guillemets à PATRIARCAT, ce mot qui vous terrorise tous, c’est que, j’en suis bien désolée, vous en faites partie. 

Si la présomption d’innocence, c’est protéger et admirer des criminels, alors je m’assois dessus et je l’écrase de tout mon poids. 

Si pour vous, exclure 50% de la population de tous vos textes et enseigner dès la petite enfance que « le masculin l’emporte sur le féminin », c’est protéger la langue française, alors oui, j’écris en inclusif et je martèle vos traditions archaïques. 

Si le foot féminin, cela ne vous plaît pas, ce n’est pas assez « viril », alors juste pour vous embêter, je le regarde et je le préfère. 

« L’égalité aux WC », cela ne veut rien dire. Quant à casser l’ambiance, si pour vous la recette pour une soirée réussie c’est blagues sexistes, paris lourdingues, agressions et GHB, je crois pouvoir affirmer que ce n’est pas nous qui cassons vraiment l’ambiance en soirée. 

Alors calmez-vous Valeurs Actuelles, ça va bien se passer. 

 

La pathologisation du féminisme

La rhétorique visant à pathologiser le féminisme en le comparant avec l’hystérie ou la folie (cf. Valeurs Actuelles) est loin d’être une invention récente. Dès les premières revendications des droits des femmes, ont surgi en réponse des textes visant à théoriser le féminisme comme une maladie, tendance qui s’est ensuite prolongée et qui est toujours présente dans les médias actuels à travers un vocabulaire particulièrement relié à la psychiatrie.

Ce fameux dossier de Valeurs Actuelles qui tente timidement et en vain de défaire l’argumentaire féministe comporte par exemple un article intitulé « Ce n’est pas dans la rue qu’il faut aller, c’est en thérapie ». L’expression « cyclone d’hystérie » est employé dans un autre article. Une rengaine plutôt ancienne : en 1908, Théodore Joran a affirmé vouloir voir Madeleine Pelletier – première doctoresse à défendre le droit à l’avortement – « internée soit en prison, soit dans un hospice », où elle aurait pu « tout à son aise caresser son rêve de chiennerie universelle ». 

En outre, le terme « féministe » apparaît en 1871 dans une thèse de médecine à propos d’une pathologie touchant certains hommes atteints de tuberculose, et qui produirait une atténuation des traits dits « masculins ». Un an plus tard, Alexandre Dumas-fils publie un ouvrage et utilise le mot cette fois-ci pour démontrer que l’égalité revendiquée par les féministes n’a aucun sens au vu des différences « naturelles » entre les genres. On passe donc de la pathologie biologique à la pathologie politique. 

Ainsi, l’accusation de folie et d’hystérie est un fil rouge de toutes les revendications féministes, à toutes les époques. C’est un « mode de disqualification qui touche toutes les femmes en quête d’émancipation personnelle et collective », pour reprendre les mots de Christine Bard, historienne spécialisée en histoire des femmes, du genre, du féminisme et de l’antiféminisme.

Cette tendance se traduit par des propos plus violents pour qualifier les féministes, comme l’a fait Théodore Joran en parlant de « chiennerie universelle ». Les chieuses, les chiennes, les salopes : ce sont les doux noms que nous attribuent les médias. Je pense particulièrement à l’historique « Manifeste des 343 », publié au Nouvel Observateur en avril 1971, repris une semaine plus tard par la une de Charlie Hebdo sous le titre « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l’avortement ? ». Dans les mémoires, ce manifeste révolutionnaire a donc conservé l’appellation « salopes », qui n’est pas celle des signataires. 

« Que cette caricature […] ait laissé à la postérité une insulte machiste pour qualifier ces femmes, est assez significatif de l’antiféminisme qui préside parfois à la réécriture de l’histoire de la lutte des femmes », affirme Maud Gelly, sociologue spécialisée dans les inégalités et dans le domaine de la santé. 

 

Réception des victimes dans l’opinion publique à travers les médias : minimisation et banalisation

Remise en question de la parole des victimes et inversion de la culpabilité

Les médias contribuent grandement, on l’a vu plus haut, à remettre en question la parole des victimes d’agressions sexuelles ou de viols, en particulier quand celles-ci sont dirigées vers des hommes connus de la scène médiatique. Mentionnons par exemple Éric Zemmour, dont les huit accusations d’agression ont fait les titres des médias il y a quelques semaines : en présentant les accusations comme simultanées, cela laisse croire que les victimes se sont organisées pour porter un coup à la carrière politique d’Eric Zemmour peu de temps avant la présidentielle, et que leurs accusations ne sont pas fondées. Au contraire, certaines accusations datent de 2020, et les faits remontent à plusieurs années en arrière. 

Un autre fléau de la culture du viol dans les médias : l’éternel argument qui avance que les hommes de la scène politique et plus généralement, qui jouissent d’une certaine visibilité médiatique, attirent les femmes – et que celles qu’ils rejettent nourrissent donc une rancœur et une rancune qui les poussent à « inventer » des histoires de viol ou d’agression. 

J’évoque par exemple une nouvelle fois le torchon de C8, TPMP, où Bernard Montiel avait été interrogé quant à l’accusation de viol contre Arry Abittan, et il avait visiblement trouvé pertinent de répondre : « Je sais que les jeunes femmes qu’il rencontre veulent soit se marier, soit parfois avoir des enfants avec lui. Lui, il n’en peut plus, il le dit très clairement, il est très clair avec sa femme […] comme il doit être clair avec les jeunes filles qu’il rencontre, il ne veut pas d’histoires comme ça, pas de mariages, pas d’enfants, et certaines le prennent très mal. Alors on souligne que ça peut être une histoire de vengeance, on ne sait pas, là c’est parole contre parole ». 

Cela introduit l’idée d’un coup monté, d’une vengeance, qui expliquerait pourquoi les victimes ont gardé le silence pendant si longtemps – inutile de préciser que cette remise en question est absolument infondée. De la même manière, Catherine Balle écrit pour Le Parisien à propos de Valentine Monnier : « Elle s’est tue pendant 40. Et puis elle a écrit un texte […] ». Si l’article ne semble pas a priori remettre en question la parole de la victime de façon explicite, cette introduction à l’affaire paraît déplacée et oriente automatiquement la lecture vers une interrogation de la véracité des faits : pourquoi prendre la parole maintenant ? 

L’idée de vengeance a particulièrement fait surface autour de l’affaire Darmanin, que les médias n’ont pas manqué de faire passer pour la victime, en inversant la culpabilité. On a par exemple pu lire dans Gala : « Gérald Darmanin accusé de viol : la fin des ennuis pour le ministre ? », et dans Voici : « Gérald Darmanin accusé de viol, le ministre de l’Intérieur victime d’une vengeance ? ». 

 

L’impunité sous couvert de culture

Le corollaire de cette tendance à l’inversion de culpabilité se caractérise par l’impunité sous couvert de culture et d’art. On entend et on lit bien (trop) souvent des discours visant à déculpabiliser un homme accusé de violence sexuelle, sous prétexte que ce n’est pas une raison pour le censurer si son art est de qualité. 

Je pense à Nicolas Sarkozy, sur le plateau de C à Vous en 2019 : « Gauguin a mis enceinte une fille de 14 ans, il s’est mal comporté, on ne va tout de même pas le décrocher ! ». Pour enrober son propos, Sarkozy reprend alors l’argument selon lequel « la caractéristique d’un homme et d’une femme, c’est de faire des erreurs ». Présenter le viol comme une erreur de parcours, que l’on peut pardonner sous prétexte d’être un artiste talentueux et reconnu, c’est de l’irrespect pour les victimes, une injustice majeure, une incorrection juridique et surtout, une honte absolue. 

Alors si, mon petit Sarko, je « décroche Gauguin » et je décroche tous les autres. 

Pensons également à l’affaire Polanski, soit l’apologie du crime en France. L’homme divise, l’art est censé mettre d’accord : une tribune dans Le Point est parue sous le titre « Aimer le cinéma de Polanski ne fait pas de nous des complices ». Sous couvert de liberté d’expression, la tribune vise à dénoncer la radicalité de celles qui censurent ouvertement Polanski : « Est-il encore possible de s’exprimer librement à propos du cinéma en France ? ». 

Si, cela fait de vous des complices, car admirer le cinéma de Polanski, c’est soutenir ouvertement un violeur accusé et reconnu coupable, et lui faire un honneur qu’il ne mérite pas. Alors moi aussi, je vous accuse de complicité, d’obscurantisme, d’aveuglement

L’auteure de cette tribune dans Le Point continue en exprimant son regret du tournant jugé « radical » du féminisme : « Comme toute révolution, cette révolution connaît des hésitations, des crispations, des accès de fièvre, hésitant entre des trajectoires opposées : la continuation de la lutte dans le cadre de l’État de droit ou son dévoiement dans une logique punitive, fondée sur la haine, le simplisme, la vengeance, de préférence en meute. » 

Il n’y a pas de révolution sans radicalité, et ma meute et moi, nous affirmons haut et fort : punissons-les tous un à un jusqu’au dernier, cessons d’apprendre aux enfants de ce pays que l’on peut être adulé et jouir d’une carrière brillante, tout en traînant derrière soi la honte, la culpabilité, le crime d’un viol ou d’une agression. 

Elle regrette une culture qui se transformerait en « tribunal populaire », mais il faut être bien utopiste pour penser que la justice ne se joue que dans les tribunaux : elle se joue à toutes les échelles de la société, elle se joue au poste de police, à l’école, dans les médias, en politique. 

En réaction à la cérémonie des Césars qui avait récompensé Polanski, et au départ d’Adèle Haenel de cette dernière, Virginie Despentes avait écrit une tribune poignante, que je me permettrai de reprendre : 

« Désormais on se lève et on se barre ».

 

Un féminisme « complotiste et paranoïaque » 

La tribune de Le Point accuse ce féminisme radical de complotisme et de paranoïa, ce qui procède encore d’une belle inversion des rôles, pour une personne qui soutient ouvertement Polanski. L’auteure regrette un « lynchage médiatique généralisé de toute personne soutenant ces hommes » et appelle à un retour au « débat d’idées ». Ce ne sera jamais dit assez haut, ni assez fort : le crime n’est pas une idée. Si vous voulez débattre, débattons de l’article 222-23 du Code Pénal, qui devrait suffire à mettre Polanski derrière des barreaux et non pas sur un piédestal du septième art. 

Par ailleurs, présenter le féminisme radical comme un totalitarisme qui procède de l’entrave de la démocratie est une belle erreur de jugement, une démesure osée et une nouvelle inversion des rôles. On retrouve d’ailleurs l’idée de vengeance dans l’argumentaire de la tribune : « Les déferlements de haine aveugle qui traversent aujourd’hui certaines franges du mouvement féministe mais également des pans entiers de la population n’ont rien à voir avec le droit. Ils ont tout à voir avec la vengeance, avec ces pulsions archaïques que l’on aimerait excuser au nom de souffrances millénaires, mais qui font tant de mal à notre État de droit. »

Dans le dossier de Valeurs Actuelles mentionné plus haut, la sexologue Thérèse Hargot regrette elle aussi une trop forte centralisation du « débat » autour de la culture du viol. Elle écrit : « À force de penser la violence sexuelle on la voit partout et elle finit par exister à la manière d’une prophétie autoréalisatrice ». La boucle est bouclée : une nouvelle fois, la culpabilité pèse sur les épaules des féministes, jugées responsables de paranoïa et de complotisme, de fantasme et de folie. 

 

Un féminisme délavé

Le féminisme modéré, ou devrais-je dire anti-radical ?

Le pendant de cette tendance modératrice, timide, qui se veut pacifiée et impartiale face à des affaires de viol avéré, se traduit par une peur des « dérives » et des « extrêmes » : Thérèse Hargot dénonce donc un positionnement « revanchard et victimaire ». C’est donc un féminisme très consensuel qui apparaît dans les médias, qui s’aligne avec la socialisation et l’intériorisation des normes sociales qui nous apprennent, femmes et féministes, à ne pas parler fort, à ne pas être violentes, à ne pas être extrêmes, à ne pas être hystériques. 

Ainsi, lorsqu’enfin la parole est donnée à des féministes, c’est souvent un féminisme détourné, lissé, aplani et délavé, sous couvert d’universalisme et de modération. 

 

Le contre-féminisme : la contre-attaque conservatrice

Une autre branche du féminisme médiatisé témoigne d’un intérêt pour la préservation de l’ordre traditionnel établi, et se limite donc à des positionnements plutôt conservateurs selon lesquels les revendications du féminisme ont été solutionnées il y a déjà plusieurs années. 

C’est d’ailleurs souvent un féminisme non inclusif, non intersectionnel, blanc et bourgeois, voire même raciste et islamophobe – on pense particulièrement au fémonationalisme. 

C’est également un féminisme homophobe voire transphobe : en 2020, l’auteur d’un article de Valeurs actuelles n’en revient pas que des manifestantes se « déclarent ouvertement » lesbiennes ou que l’icône Alice Coffin « se présente sans ambiguïté comme lesbienne »

Prôner la modération, et surtout nier l’importance des problématiques actuelles et de la convergence des luttes contre les diverses oppressions du système, est très révélateur de l’opposition entre un féminisme actuel, en colère, affirmé, et un féminisme ancien, le féminisme de 1968, jugé par beaucoup comme plus légitime dans ses revendications. 

 

Pour un féminisme brut et révolutionnaire

Or, la lutte continue. Elle continue dans la rue, seins nus. Elle continue à l’école, au lycée, à l’université. Elle continue au tribunal, au commissariat, au lit. Elle continue dans les médias, et donc j’écris. Elle continue dans Fémi’News, dont je suis fière. Elle continue pour mes amies, pour ma mère, pour ma sœur. Parce que ce que les médias veulent bien nous montrer n’est que le sommet de l’iceberg du patriarcat que mon bateau veut briser en mille morceaux. 

Je suis une sorcière, je suis une suffragette, je suis une FEMEN, et vous ne pourrez me brûler. Mes mères sont les Munitionnettes, celles du MLF, les 343, La Barbe. 

Je suis pour l’écriture inclusive. Je déteste Roman Polanski et je n’en ai rien à foutre que son cinéma soit de qualité. On ne distingue pas l’homme de l’artiste. Je suis une féministe sans filtres et sans concessions. 

Je suis pour que l’on représente et que l’on idolâtre les femmes à excès, parce que l’Histoire nous le doit bien. 

Je ne veux plus avoir à me justifier quant à si je déteste les hommes ou non. Je ne veux plus tempérer mon discours pour ne pas blesser les coupables et les complices qui se sentent visés. Je veux que la vérité éclate au grand jour, en un fracas révolutionnaire. 

Je suis fatiguée d’expliquer que nous luttons contre un système d’oppression et non contre les individus eux-mêmes. Je déteste tout ce système d’oppression et je ne dois à personne de justification. 

Je ne suis pas hystérique mais le patriarcat me rend folle. 

Je ne me calmerai pas, car mes sœurs, mes mères, mes grand-mères se sont calmées pendant des siècles avant moi. 

Parce que je veux renverser ce système, et que je crois en les vertus de l’écriture, mes bombes sont mes mots, mes flammes sont mes phrases.

J’écris le couteau entre les dents pour que retentisse l’explosion de la justice rendue, l’effondrement du mur patriarcal, les voix de la résistance, et le chant de colère de la révolution féministe.

Sources :
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