Aujourd'hui :

lundi 9 décembre 2024

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Un point d’histoire sur l’origine du mouvement « Femme, Vie, Liberté ! »

Le mouvement Femme, Vie, Liberté, est le slogan d’une révolte qui a émergé en réponse à la dictature du « Guide suprême ». Pour comprendre comment l’Iran en est arrivé là, il est nécessaire de faire quelques pas en arrière. 

Quand le chah d’Iran était au pouvoir (1941-1979), l’Iran était une forme de monarchie dictatoriale, soutenue par les puissances occidentales, qui en échange exploitaient les ressources d’Iran comme le pétrole. Au début des années 1970, une partie de la population entame une révolte progressiste contre la dictature. En réponse à ces mouvements, le chah tente quelques réformes progressistes : il accorde le droit de vote aux femmes, tente des réformes économiques etc. Le chah se met non seulement le clergé islamique à dos, mais aussi la classe des commerçants bourgeois traditionnels. L’ayatollah Khomeini, un dignitaire religieux chiite, gagne en popularité tandis que le chah en perd. Cet homme promet un projet anti-impérialiste, assure la liberté des femmes et le soutien des classes populaire. Quand il arrive au pouvoir en 1979, l’ayatollah met en place un programme théocratique, et s’ensuit la répression qui est toujours en cours aujourd’hui. Le pouvoir est détenu par le guide suprême, et par des Présidents de la république qui le secondent. 

La machine répressive du pays s’articule autour de quatre organes, officiels comme officieux : les renseignements, qui sont la tête pensante, la police des mœurs, les gardiens de la révolution et les bassidjis, des volontaires qui sont en fait miliciens de la révolution islamique. L’Iran met en place un pouvoir répressif surpuissant. 

La colère est présente depuis des années au sein de la société civile, notamment chez les jeunes. La colère politique vient de grandes inégalités. D’un côté, une grande partie de la population est au chômage, y compris des hommes et femmes très formé.e.s, ce qui représente 50/80% de la population iranienne vivant sous le seuil de pauvreté. D’un autre côté, une minorité s’enrichit grâce à sa proximité avec le pouvoir. Le mécontentement se généralise, et en 2017, les jeunes des classes populaires commencent à descendre dans les rues. La crise du Covid 19 stoppe ce mouvement, et la mort de Mahsa Amini en 2022 ravive la colère et relance la révolution. 

Un mouvement politique autant que féministe 

Le 16 septembre 2022, une jeune femme Kurde est arrêtée par la police des mœurs à Téhéran. Elle meurt deux jours plus tard à l’hôpital, des suites des blessures à la tête causées par la police parce que son voile ne couvrait pas parfaitement ses cheveux. Des femmes, étudiantes, collégiennes, lycéennes descendent alors dans les rues et entament le mouvement Femme, Vie, Liberté. Les trois termes renversent mot à mot les piliers qui fondent la dictature iranienne : Homme, mort, oppression. C’est un slogan Kurde, un souffle venu du Kurdistan qui émerge au sein de la pensée socialiste kurde et se retrouve au cœur de la révolte des citadin.e.s iranien.ne.s. 

Depuis les années 2000, le mouvement féministe iranien est très puissant. Les femmes ont certains droits, mais évidemment beaucoup moins que les hommes. Elles sont considérées comme l’une des minorités politiques du pays. Elles ne sont pas autorisées à voyager hors du pays sans autorisation de leur mari, n’ont pas les mêmes droits à l’héritage, et ceci ne représente qu’une partie de l’inégalité entre les genres. Les discriminations sont légales, sociales, économiques. Elles n’ont que très peu accès au marché de l’emploi alors qu’elles représentent la moitié des étudiant.e.s. en Iran. C’est ce qui permet de dire que l’Iran est un pays de paradoxes : les femmes ont une certaine liberté, qui leur permet un accès à l’éducation et aux études, sans pour autant leur laisser un quelconque droit au travail.

Ce contrôle ne pose pas seulement la question du féminisme, de l’opposition des hommes et des femmes, mais plutôt du totalitarisme qui s’est à la fois imposé à travers les lois, mais aussi dans les rues à travers les milices, les polices. Les classes populaires, les immigrés, les populations les plus précaires sont encore une fois les personnes oppressées, les personnes victimes d’un état autoritaire. Le mot « vie » du slogan renvoie à l’aspect humaniste du mouvement. C’est aussi une révolte de défense de toutes les formes de vie. Alors que l’Iran est l’un des pays qui construit le plus de barrages dans le monde, qui entraîne la sècheresse des lacs, des mélanges d’eau douce et d’eau salée, et évidemment des catastrophes environnementales dans les régions les plus pauvres, notamment le Kurdistan, un mouvement de défense de l’écologie émerge.

Le voile et notre vision occidentale 

Le voile, un geste fort ? Énormément de lois entravent les femmes, le voile n’est que la partie émergée de ce qui se passe en Iran. Jusqu’à maintenant, les féministes iraniennes avaient adopté une perspective réformiste, leur combat portait sur les droits civils. Désormais, le voile est devenu le symbole du combat, mais retenons bien que les Iraniennes ne sont pas contre le port du voile, mais contre le port du voile obligatoire. Le voile a été imposé avec énormément de brutalité, les femmes ont manifesté mais elles ont été réprimées. Il est le symbole de la cruauté qui s’est abattue sur les corps dès le début de la République islamique. Le fait de porter le voile, le vêtement islamique, est une façon de marquer le contrôle de l’état sur chaque corps et donc sur chaque individu dans l’espace public. 

En France, certains discours islamophobes ont très vite émergé, considérant l’Islam porteuse d’une idéologie dictatoriale, ce qui revient à dire que le problème réside dans la religion musulmane. Néanmoins, nous savons aux vues de l’actualité comme de l’histoire mondiale que les hommes n’ont pas eu besoin de l’Islam pour asseoir une idéologie totalitariste. Donc dans toute cette révolte et cette situation politique, quel est le rôle de la religion musulmane ? Est-ce que le problème est la religion en Iran ?

Pour moi, il est essentiel de comprendre que le problème tient à un régime théocratique. Un régime dans lequel l’ordre politique est fondé sur une vérité religieuse. Il n’y a qu’une vérité unique venant de Dieu, et dont le représentant est mis sur terre par Dieu. Tous les ordres théologico-politiques posent et ont toujours posé problème, et c’est ce rapport à la vérité absolue qui crée en parallèle une autorité absolue. Dès lors qu’une vérité absolue existe, on ne peut pas espérer un changement, une adaptation, ou une quelconque forme d’émancipation. La force politique iranienne repose sur une vérité fondée sur la domination masculine, certes, mais cette inégalité est présente dans toutes les religions dès lors qu’elles sont fondamentalistes. Nous devons donc changer notre manière de lire le mouvement Femme, Vie, Liberté comme un mouvement uniquement féministe, qui ne porterait que sur le voile. Cette vision est problématique car extrêmement occidentale, puisqu’elle reviendrait à dire que le meilleur que les femmes iraniennes puissent espérer grâce à leur révolte est de vivre comme les femmes occidentales. Or, le mouvement n’a en aucun cas pour but d’atteindre un système occidental, il s’attaque à la destruction des minorités de genre, de race, de classe, de religion, mais aussi à la destruction de l’environnement, contre la politique néolibérale. 

Comment réagir face à ce qu’on voit sur les médias ? 

Une manière de réagir de façon adaptée à ce que l’on voit, c’est de s’informer, d’en parler autour de soi, de ne pas s’approprier le mouvement, mais de lui donner une voix. De nombreux films, livres, romans graphiques ou des podcasts ont été sur le sujet et permettent de bien se renseigner, d’avoir une idée claire de ce que représente le mouvement Femme, vie, liberté, y compris dans nos sociétés occidentales. Il faut essayer d’apprendre de ce mouvement, de savoir ce qu’il peut nous apporter en France. Comme dit l’anthropologue et réalisatrice française d’origine iranienne Chowra Makaremi, il est nécessaire de réfléchir à « comment est-ce que ces formes de désobéissance peuvent nous inspirer »

En tant qu’étudiant.e.s, nous pouvons et devons nous sentir concerné.e.s. Ce mouvement se singularise énormément par son traitement médiatique. Les médias sont évidemment contrôlés par l’état, et donc ne montrent pas la réalité de la révolte. La révolution a pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux, qui ont permis de montrer les violences des polices et des milices sur les civil.e.s, et c’est pourquoi ce mouvement a pris de l’ampleur dans la population iranienne jeune. 

Quelques conseils de lectures, de podcasts, de films… 

  • Femmes, vie, liberté de Marjane Satrapi. 
  • A l’air libre, Golshifteh Farahani « Le mouvement femmes, vie, liberté ne peut pas être réprimé »
  • Article du Jean-Moulin Post, 17 OCTOBRE 2022, LINA BEJI L’instrumentalisation islamophobe de la révolte des femmes iraniennes
Sources :

Podcast des Couilles sur la table : Femmes, vie, liberté : révolution en Iran.

Article de médiapart : « Nous, jeunesse(s) d’Iran » : portrait d’une génération assoiffée de liberté.
Vidéo Arte : Femme, vie, liberté, une révolution iranienne.
Vidéo Blast : La révolte des femmes iraniennes embrase tout le pays.
Partager cette publication :
Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp