Récemment un ami a essayé de s’acheter une paire d’Air Max 1, un modèle rien d’exceptionnel, si ce n’est son coloris d’une teinte pastel. Ce n’était pas non plus une paire très limitée ou une collaboration phare. Pour autant, impossible de se la procurer sans débourser plus de deux fois sa somme initiale. À ce moment j’ai eu un déclic, le marché des sneakers était devenu similaire à celui des montres de luxe ou des voitures de sport. Désormais, pour pouvoir s’acheter une paire de sneakers, il faut soit être très chanceux, soit avoir les poches pleines. Maintenant, encore plus qu’il y a quelques années , le luxe et le streetwear semblent se confondre. Néanmoins, dans quelle mesure ces deux milieux sont-ils semblables ?
Définition
Avant de continuer mon récit, je me dois d’éclaircir ce que j’entends par “streetwear” et “luxe”.
Le streetwear
La manière la plus simple de décrire le streetwear serait de le définir par ses codes vestimentaires. Ceux-ci comprennent des vêtements casual, confortables, aux inspirations sportives. Mais réduire le streetwear à ses codes serait être à côté de la plaque. En effet, dans l’étude menée par Hypebeast avec le cabinet de conseil PWC, le média insiste sur une des caractéristiques du streetwear à ses débuts : le bouche à oreille. Ainsi, est streetwear ce qui est considéré comme tel par sa communauté. Plus largement, pour comprendre ce qu’est le streetwear, il faut le voir comme ce qui fait partie de la culture hip-hop, comme son prolongement. Enfin, l’une des facettes propre au streetwear est les nombreuses sorties en éditions limitées ou « drop » concernant les produits rares. Enfin la présence d’un marché secondaire définit en partie le monde du streetwear.
Le luxe
Selon Gilles Lipovetsky, le luxe est une consommation ostentatoire, dont le but est de marquer sa différence de statut vis-à-vis des autres classes sociales. Néanmoins, il constate aussi une autre motivation à la consommation du luxe. Celle-ci réside dans la recherche d’un plaisir personnel plus que dans une volonté d’afficher son statut. Jean Noël Kapferer distingue ces deux types de consommation ; le luxe pour soi (plaisir personnel) et le luxe pour les autres (afficher son statut). C’est cette deuxième forme de consommation que nous allons décortiquer à travers les différentes facettes du luxe définies par Kapferer.
Comme dit plus tôt, le luxe est une consommation qui vise à se distinguer, et quoi de plus efficace qu’une marque renommée et un logo, pour se différencier. Selon lui, les marques ont remplacé les médailles et autres distinctions qui étaient d’usage par le passé. Ainsi l’une des caractéristiques inhérentes au luxe est la présence d’une marque forte et son logo.
Néanmoins, ce signe distinctif nécessite parfois une certaine culture pour pouvoir être décodé. C’est le cas des maisons de luxe, qui, en dehors des produits apposés de logos possèdent aussi tout un ensemble de codes qui les distinguent des autres marques. À titre d’exemple, il y a le tailleur bar Dior, la veste ballon de chez Balenciaga ou encore le tweed Chanel. Pour pouvoir développer un ensemble de signes distinctifs, l’auteur insiste sur le fait qu’une maison de luxe se doit d’avoir une histoire et un savoir-faire traditionnel qu’elle s’applique à préserver. Le fait que la consommation du luxe nécessite une certaine culture pour pouvoir être appréciée rend cette consommation encore plus excluante et permet aux membres d’un même groupe de se reconnaître entre eux.
Le savoir-faire et l’histoire d’une marque gagnent en densité grâce aux produits qui se veulent exceptionnels. Exceptionnels par leur complexité, le temps nécessaire à leur production et la confection artisanale. L’ensemble de ces éléments amène le produit à ne plus être un simple élément de consommation, mais un objet dont la valeur est irréductible au prix.
Toutes ces choses (complexité, temps, confection) qui font du produit un artefact hors norme sont aussi des éléments qui lui permettent d’être rare. Or la rareté est une qualité essentielle car on veut que la consommation du luxe distingue ceux qui peuvent se le permettre de ceux qui ne peuvent pas.
Enfin, Kapferer met l’accent sur le lien étroit entre art et luxe dans son ouvrage. L’auteur justifie l’existence de ce lien omniprésent entre les deux par le fait que l’art renforce l’ensemble des éléments que le luxe tente de s’approprier, à savoir : être exclusif, rare, mythique.
Points communs et différences entre luxe et streetwear
Pour pouvoir comparer le luxe au streetwear, j’ai distingué 3 catégories : la communauté et la culture, la confection des produits et le mode de distribution.
Culture et communauté :
Le luxe, tout comme le streetwear, nécessite une certaine culture pour pouvoir être consommé de la « bonne » manière. De la même façon que la connaissance de ce qu’est un bon vin distingue une personne très aisée d’une personne qui l’est moins, la connaissance des marques streetwear « OG » et de leurs pièces historiques sépare un vrai membre de la communauté streetwear des autres. La marque Supreme est un bon exemple selon moi. Avec des tee-shirts imprimés qui se vendent à plus de 100 euros, le prix rencontre souvent la consternation de la part de mon entourage qui ne voit pas Supreme comme un pionnier du streetwear mais comme une marque de skate qui vend des tee-shirts made in China.
La culture distingue, dans le cadre du luxe, les personnes aisées des autres, tandis que le streetwear permet de dissocier les personnes partageant la culture hip-hop de ceux qui ne la partagent pas. En conséquence, les cultures de références du domaine du luxe et du streetwear tendent à se différencier aussi.
Le produit :
Je pense que c’est l’un des points où, par définition, le luxe et le streetwear sont les plus opposés. En effet, selon Kapferer, un produit de luxe se doit d’être fait main, complexe, prendre du temps, être fait selon une méthode traditionnelle et être incomparable. À l’inverse, la base du vestiaire streetwear est un vestiaire simple composé de vêtements à l’allure sportive. Bref le luxe et le streetwear sont le jour et la nuit sur ce point.
Mode de distribution :
En termes de distribution, luxe et streetwear se rapprochent sur le principe d’exclusivité. Néanmoins, ils se distinguent par leur mode opératoire. Côté luxe, nous avons une discrimination se faisant essentiellement par le prix, alors que côté streetwear la discrimination se fait côté quantité, avec la production en quantité limitée des vêtements.
En outre, le streetwear se rapproche de certains secteurs du luxe (automobile, horlogerie) avec l’existence d’un marché secondaire important.
Discussion
En fin de compte, si j’ai fait ce court article c’est pour insister sur l’un des points qui est, selon moi, le point clef qui fait que le streetwear peut prétendre être un luxe, c’est que cette consommation distingue une communauté des autres. En effet l’article de Hypebeast How Streetwear Redefined Luxury semble mettre beaucoup d’importance sur le fait que, le streetwear est un style d’initié où les marques qui parviennent à se distinguer de la masse sont celles qui sont perçues comme authentiques.
En revanche, ce qui est déroutant, c’est lorsqu’on demande à des membres du milieu ce qu’est le streetwear, personne ne semble être d’accord. En outre, avec la nomination de personnalités issues du monde du streetwear telles que Virgil Abloh ou Nigo dans des maisons de hautes coutures, la définition du streetwear et sa distinction avec le luxe semble plus difficile, voire hors de propos.