Aujourd'hui :

dimanche 9 novembre 2025

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Le cri des murs : le Street-art des Printemps arabes

Dans les rues du monde arabe, les murs se sont transformés en toiles géantes, exprimant les aspirations et les frustrations d’une génération en quête de liberté. En effet, l’histoire montre une corrélation fascinante entre les bouleversements sociétaux et l’émergence de nouvelles formes d’art. Le changement d’époque, ponctué de transformations politiques, sociales et économiques, agit comme un catalyseur pour la créativité humaine, donnant naissance à des expressions artistiques inédites. Et en ce sens, les Printemps arabes et ses vagues de soulèvements populaires à partir de 2010, en est un parfait exemple tant il a permis d’attirer l’attention de la communauté internationale sur ces événements.

Le street-art a joué un rôle crucial dans ces révolutions, s’imposant comme un moyen d’expression, de ralliement et de documentation. Il convient avant tout de revenir sur cet anglicisme pour en saisir les particularités : le Street-art, ou art urbain, se définit comme un mouvement artistique contemporain qui s’exprime dans des lieux publics. S’affranchissant des espaces traditionnels d’exposition, il se manifeste sous diverses formes : graffitis, tags, ou encore affiches. Sa particularité réside dans sa nature contestataire et subversive : il permet de contourner les médias traditionnels et de diffuser un message alternatif directement au peuple, tout en ayant la possibilité de rester anonyme. Ainsi, le street art est alors une sorte d’art qui serait indomptable, spontanée : en effet, malgré sa proscription, les street-artistes font le choix de défier l’autorité publique afin d’exprimer le message qu’ils ont à transmettre. C’est précisément cet aspect qui fait la force de cet art : il brise les frontières de l’art et se veut par nature ouvert à tous. On peut en effet relever une sorte d’accessibilité à double entrée : d’un côté, n’importe qui peut faire du street-art pour faire entendre sa voix, et de l’autre côté n’importe qui peut apprécier et saisir le message transmis par une œuvre de street art.

En ce sens, le contexte des révolutions arabes était particulièrement propice à l’éclosion du street art. Les artistes, mus par un désir de liberté et de changement, ont trouvé dans cet art une plateforme idéale pour exprimer leurs sentiments face à la corruption, à la répression et au manque de liberté. En d’autres termes, les peuples étaient en quête d’un moyen d’exprimer leur frustration et leur colère. Dans un contexte où les médias traditionnels étaient contrôlés par les régimes autoritaires, le street art est devenu un moyen de communication alternatif pour diffuser des informations et mobiliser les citoyens. Les fresques murales et les graffitis servaient de points de ralliement pour les protestataires. Parallèlement, l’essor des réseaux sociaux et des technologies a permis aux artistes de partager leurs œuvres avec un large public et de coordonner leurs actions. Cela a contribué à la création d’un mouvement artistique transnational et à la diffusion des messages du Printemps arabe à travers le monde.

Progressivement, les peuples se sont emparés du street art et se sont réappropriés l’espace public. Ainsi, quelques jours après la chute du président égyptien Hosni Moubarak, qui suivait celle de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie, on pouvait lire sur les murs de Daraa en Syrie “ton tour est arrivé docteur”. Par ce graffiti, le message était lancé au président Bachar Al-Assad, ophtalmologue de formation : c’est à partir de ce moment-là que les premières manifestations contre le régime Al-Assad ont commencé avant de laisser place à la guerre civile syrienne.

Si les street-artistes parviennent à exprimer leurs revendications par le biais des murs, ils n’hésitent pas également à rendre hommage aux victimes et aux martyrs des révolutions, permettant de garder vivante la mémoire des événements. Des fresques murales commémoratives ont été réalisées pour honorer les martyrs et célébrer leur sacrifice. Par exemple, dès les premiers jours de la révolution tunisienne, des graffitis à l’effigie de Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant qui s’est immolé par le feu en signe de protestation, ont commencé à fleurir sur les murs de Tunis. Il est très vite devenu l’une des figures marquantes de la révolution tunisienne et ces images, souvent accompagnées de slogans tels que « Mohamed Bouazizi, martyr de la révolution » ou « Bouazizi, symbole de la liberté », étaient un moyen pour les Tunisiens de rendre hommage à son courage et de célébrer son sacrifice. L’un des exemples les plus frappants de la fonction mémorielle du street art est le « Mur de Mohamed Bouazizi », situé dans la ville de Sidi Bouzid, où il s’est immolé. Ce mur est devenu un lieu de mémoire pour les Tunisiens, qui viennent y déposer des fleurs, des bougies et des messages de soutien.

Le street art a laissé un héritage durable dans les pays du Printemps arabe de la Tunisie à la Syrie, en passant par l’Égypte et la Libye. Il a contribué à façonner l’identité visuelle des révolutions et à donner une voix aux aspirations des peuples. Les œuvres créées pendant cette période constituent un précieux témoignage historique et une source d’inspiration pour les générations futures.

Aujourd’hui encore, il reste un mode d’expression privilégié par ces peuples : chaque jour, de plus en plus de murs sont réappropriés, reflétant les préoccupations et revendications du peuple. Qu’il s’agisse de messages politiques ou d’œuvres artistiques, le street-art s’intègre dans la ville et s’incorpore au paysage urbain jusqu’à ce qu’ils ne fassent qu’un. C’est notamment le cas du quartier de Djerbahood, sur l’île tunisienne de Djerba, où figurent 250 œuvres d’une centaine d’artistes, tunisiens et étrangers.

En somme, il est à présent clair que le street art a été un élément crucial des révolutions arabes. Il a permis de diffuser des messages, de mobiliser les citoyens et de rendre hommage aux victimes. Il a été un outil puissant de communication, de mobilisation et de mémoire qui a marqué de manière indélébile l’histoire du monde arabe. De la même manière, le rap a également joué un rôle important dans la mobilisation des populations lors des révolutions arabes : les morceaux servaient d’hymnes pour les protestataires et symbolisait la lutte contre les régimes autoritaires.

Sources :
Partager cette publication :
Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp