Les chiffres des violences conjugales sont en hausse : 244 000 signalements aux forces de l’ordre ; mais pour Anne Cécile Mailfert nous assistons à un « changement de paradigme. En 5 ans […] il y a deux fois plus de femmes qui osent. Nous sommes passées d’une société de déni à une société ou s’entendent enfin les cris […]. Les femmes qui ont croisé des hommes violents sont nombreuses car ils sont nombreux, c’est toute une culture à changer. ». A travers cet édito de novembre 2023, Anne Cécile Mailfert, fondatrice de la Fondation des femmes et ancienne Porte-parole d’Osez le féminisme montre à quel point l’appréhension du féminisme et des violences faites aux femmes trouve une nouvelle émancipation.
L’expression « violence conjugale » désigne l’ensemble des violences commises au sein du couple par le conjoint, le partenaire de PACS ou d’union libre. Les violences peuvent prendre différentes formes, les principales étant physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques. Cette dernière étant souvent méconnue, la violence économique est un comportement visant à priver la victime de son autonomie financière et la placer sous le contrôle du conjoint.
« Au 02/02/2024, on dénombrait 14 féminicides depuis le début de l’année ». Voici les chiffres que déplore l’association féministe « nous toutes ». L’association rapporte également qu’en moyenne « chaque année sur la période 2011-2018, 213 000 femmes âgées de 18 à 75 ans » déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un conjoint ou d’un ex conjoint. Les chiffres sont d’autant plus glaçants quand nous apprenons que sur ces 213 000 femmes, 29% sont âgées de 18 à 29 ans.
L’association tire ces chiffres de plusieurs sources et notamment de deux enquêtes clés mises en place par des organismes publics : Cadre de Vie et Sécurité (CVS) et Virage.
Tous les ans depuis 2007, l’INSEE, financé entre autres par l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice et le Ministère de l’intérieur, enquête sur un échantillon de 20 000 à 25 000 ménages en France métropolitaine. L’objectif étant notamment de connaître les faits de délinquances, dans les deux années précédant cette enquête, dont les ménages, individus ont pu être victime, ayant donné ou non lieu à une déclaration des services de police ou de gendarmerie.
L’institut national des études démographiques quant à lui étudie depuis 2015 les contextes, les conséquences et l’ampleur des violences subies tant par les femmes et les hommes en France. L’échantillon est assez large puisque sur 27 268 personnes interrogées, 15 556 femmes contribuent à comprendre ces phénomènes. L’enquête virage est financée par des partenaires institutionnels, des associations d’aides aux victimes et des personnalités scientifiques.
En avril 2020, au sortir du premier confinement, les membres de l’équipe virage spécialisés sur les violences conjugales, accompagnés de collègues sociologues, juristes et spécialistes des violences de genre ont publié une tribune dans le journal Le Monde pour alerter sur la recrudescence des violences conjugales durant le confinement. Il est notamment demandé une politique plus globale de la prise en charge, d’autant plus nécessaire en période de crise et d’activer la justice civile et notamment le recours à l’ordonnance de protection.
Depuis cette tribune, quels sont les moyens mis en œuvre par les politiques publiques ? Comment les institutions policières et judiciaires luttent-elles concrètement contre les violences faites aux femmes ?
Parmi les évolutions concrètes, il y a bien sûr l’évolution du cadre législatif. Celui permet notamment de renforcer la protection des victimes et par la même occasion la sanction des auteurs de ces violences. De plus, la loi du 24 janvier 2023 fait entrer dans le Code pénal une nouvelle infraction, celle de l’outrage sexiste. La loi transforme la contravention de cinquième classe réprimant l’outrage sexiste et sexuel aggravé en un délit. Il peut être intéressant d’évoquer l’allongement du délai de prescription de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels commis sur mineurs.
Concernant les dispositifs, un numéro national d’écoute téléphonique, le 3919 « Violences info » mis en place en 2007 assure une réponse au premier niveau et oriente ou transfère les femmes vers un numéro utile tel que le 17. En effet, ce service, bien qu’ouvert depuis 2021 24h sur 24 et 7j/7 ne traite que les situations d’urgence. Selon la responsable de la ligne d’écoute Françoise Brié, « la ligne d’écoute du 3919 est plus que jamais mobilisée alors que le nombre d’appels s’envole ». Entre 2017, et 2020 le nombre d’appels traités ont augmenté de 114%. Ce numéro peut aide par exemple à préparer le départ des femmes victimes de violences mais le plus souvent « Les femmes appellent le 3919 pour demander de l’aide. Elles peuvent appeler en urgence car elles viennent de quitter le domicile ou ont été mises à la rue ».
En parallèle de ce dispositif téléphonique, des dispositifs locaux d’accompagnement et de prise en charge sont également en place. L’objectif au sein des lieux d’accueil, d’écoute et d’orientation (LAEO) est de délivrer des informations, un soutien psychologique et un accompagnement dans la durée complémentaire des actions engagées par les « accueils de jour ». D’autres permanences et dispositifs locaux comme les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ont pour principale mission d’assurer gratuitement l’accès des femmes à l’information sur l’ensemble de leurs droits.
Outre ces dispositifs d’accueil, d’écoute des professionnels de la santé, à l’image de Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne, ont décidé de créer des structures de prise en charge des victimes de violences. En 2016, le Docteur Ghada Hatem a fondé la Maison des femmes à Saint Denis (93200). Depuis son ouverture, la Maison des femmes a accueilli près de 20 000 femmes en consultation, qu’elles soient battues, excisées, confrontées à des grossesses non désirées, ou encore victime de tout type de violences. Cette structure est unique en France puisqu’il s’agit de la première structure proposant une prise en charge globale alliant soins médicaux et accompagnement psychosocial. En son sein, médecins, sages femmes, psychologues, juristes, policiers, assistantes unissent leurs forces et forment une seule et même équipe dans l’objectif de venir en aide à ces femmes victimes. Lors d’un colloque intitulé « Regards croisés sur les violences faites aux femmes » organisé par le collectif féministe de l’Université Jean Moulin Lyon III, Alyon Nous, en février dernier, la médecin avait affirmé sa volonté de déployer ce type de structure partout en France, mais que les associations manquaient cruellement de moyens financiers afin de développer ses structures si nécessaires pour assurer une prise en charge des femmes victimes.
En effet, malgré une évolution positive de la prise en charge des victimes de violences, nous constatons le manque cruel de moyens permettant d’offrir une meilleure protection aux victimes. De plus en plus de victimes se manifestent mais les pouvoirs publics ont du mal à suivre le rythme. Pour Françoise Brié « auparavant les femmes […] restaient longtemps dans la honte, le silence. Certes la peur et la culpabilisation par l’agresseur existent toujours, mais grâce à l’impact très fort du mouvement #Meetoo, les femmes victimes rencontrent moins de freins. Elles se manifestent davantage et demandent des réponses ». En dépit des progrès, cela reste insuffisant pour la directrice générale de la FNSF puisque bien souvent l’engagement dans le processus judiciaire entraîne « une victimisation secondaire ». Malheureusement, cela s’apparente souvent au parcours du combattant lorsqu’une femme souhaite déposer plainte pour « être reconnue comme victime, et pour être protégée ».
Une fois la plainte déposée, quels sont les moyens dont dispose la justice pour lutter contre ces violences ?
En cas de plainte déposée à l’encontre d’un conjoint, celui-ci peut être placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention. Le contrôle judiciaire est une « mesure permettant de restreindre la liberté d’une personne soupçonnée d’une infraction pénale lorsqu’elle encourt une peine de prison ». Ce contrôle a pour objectif de prévenir toute nouvelle tentative d’infraction. Concrètement, la personne doit respecter des obligations et des interdictions prévues par la loi, celles-ci sont fixées par le juge en fonction du dossier. En termes de violences conjugales le juge peut tout à fait opter pour une interdiction de rencontrer certaines personnes comme la ou l’ex conjointe, ses enfants ou encore une obligation de se soumettre à une prise en charge sanitaire, psychologique, sociale.
Dans le cas où la victime n’aurait pas ou ne souhaite pas porter plainte, mais qu’elle se sent menacée par son conjoint/partenaire violent, il est possible de demander au Juge aux affaires familiales (JAF) de prendre une ordonnance de protection ou de mettre en place le dispositif du bracelet anti rapprochement.
L’ordonnance de protection a vocation à protéger la victime. Elle peut notamment interdire le présumé coupable d’entrer en contact avec le demandeur, de se rendre dans certains lieux, de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance. Cette dernière interdiction est assortie de l’obligation de porter un dispositif électronique mobile anti-rapprochement. Le port de ce bracelet électronique ne peut être demandé que si la victime de violence demande préalablement une interdiction d’entrer en contact. A noter que la mesure prononcée par le juge ne peut se faire qu’avec le consentement libre et éclairé de la victime et du présumé coupable. Enfin dans les cas les plus graves, le JAF ou le procureur de la République peuvent décider d’octroyer à la victime d’un téléphone dit « grave danger » (TGD). Ce dispositif peut également s’adresser aux victimes de viol au titre d’une mesure de protection. En alertant de façon prioritaire les forces de l’ordre via une plateforme de téléassistance, ce dispositif connaît un essor impressionnant. En 2022, ce sont près de 3556 TGD attribués et 2455 alarmes déclenchés. . Ce téléphone attribué pour une durée de 6 mois (renouvelable), a notamment permis de porter assistance à une femme le 7 février 2024, alors que celle-ci était menacée par son ex conjoint. L’intervention des forces de l’ordre a permis d’éviter un nouveau féminicide.
Malgré tous ces dispositifs, de nombreux obstacles entravent le parcours des femmes victimes de violences, manque de moyens, de temps, remise en cause de leur parole. Toutefois la société a un rôle à jouer, elle doit mettre en avant cette triste réalité en faisant de la lutte contre les violences faites aux femmes une lutte nationale. Cette libération de la parole ne peut se faire sans un accompagnement infaillible de la part de toute la société. Il est impératif que toute la société se mobilise et prenne conscience de l’urgence à combattre les violences faites aux femmes. Nous devons unir nos forces et agir de concert pour mettre fin à cette situation inacceptable. Chaque individu, chaque institution et chaque organisation a un rôle à jouer dans cette lutte essentielle pour la protection des droits et de la dignité des femmes. Nous devons persévérer dans notre engagement à dénoncer ces actes abominables et à renforcer les mesures de prévention, de protection et de soutien aux victimes sur l’ensemble du territoire national. Il est crucial d’étendre ces mesures et de les rendre accessibles à toutes les femmes, quelle que soit leur situation géographique ou leur communauté, afin de garantir leur sécurité et leur bien-être.