Dans un climat de tension entre la France et le Maroc, Stéphane Séjourné se rendait au Maroc en février dernier pour une visite diplomatique. Le chef de la diplomatie française a profité de cette opportunité pour réaffirmer le soutien de la France au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental. En réitérant que la solution marocaine est la seule solution crédible et viable pour résoudre ce conflit, le ministre des Affaires étrangères a aussi rappelé le caractère existentiel de cette cause pour le Maroc.
Mais pourquoi cette cause apparaît comme existentielle pour la nation marocaine ?
Pour comprendre cela, commençons par un bref rappel de la situation.
Le conflit au Sahara occidental est l’un des plus vieux conflits issus de la décolonisation. Ce territoire non autonome selon les Nations Unies fait l’objet, depuis le départ de l’occupant espagnol en 1975, d’une concurrence féroce entre le Maroc et le Front Polisario. Cette entité indépendantiste soutenue par l’Algérie, originellement créée pour lutter contre l’occupation espagnole, invoque le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Elle fait face à la stratégie offensive et pragmatique du Maroc, occupant depuis le départ des Espagnols 80% de ce territoire. Les revendications marocaines sur ce territoire, à savoir une souveraineté du Maroc sur ce territoire autonome, reçoivent de plus en plus de soutien de la part de la société internationale. Et cela au détriment d’une solution compatible avec le droit international public.
Dans un contexte précaire pour la Monarchie marocaine, ayant subi deux tentatives de coups d’État en 1971 et en 1972, rassembler la nation marocaine était impératif. Ainsi, cette question territoriale, bâtie sur l’idée de consensus a permis de rassembler tous les partis politiques, même les plus radicaux. Dès 1948, des nationalistes marocains comme Allal El Fassi, développaient la notion de “Maroc historique”. Il s’agit d’une dynamique impériale cherchant à retrouver les frontières qui étaient en vigueur lorsque l’influence de la dynastie des Almoravides (1056-1147) était de mise jusqu’au fleuve Sénégal. Cet argument historique a permis à la monarchie marocaine de lancer la Marche verte, alors que le départ des Espagnols était imminent. Désarmés, un Coran et une image du monarque Hassan II à la main, ce ne sont pas loin de 350 000 Marocains qui marchent vers ce territoire fraîchement décolonisé : le symbole est très fort.
Une pratique diplomatique délétère
“Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe.” – Hassan II
Si la cause du Sahara occidental joue un rôle unificateur du peuple marocain, elle s’avère être une grande cause de fracture pour le Maghreb.
Le différend entre le Maroc et l’Algérie n’a pas commencé avec la question du Sahara occidental. En effet, la frustration marocaine, lors de l’indépendance de l’Algérie, favorisée par le découpage administratif de la France, a été l’élément déclencheur de ces tensions. Ces tensions ont connu une véritable escalade, menant à un réel conflit armé : la guerre des Sables de 1963. Le conflit au Sahara occidental semble donc être un moyen pour les deux puissances maghrébines de se disputer le leadership sur la région, ce qui place le voisin tunisien dans une situation délicate. En effet, ce dernier étant dépendant de l’Algérie, tente tant bien que mal de maintenir une neutralité dans ce conflit.
“Les Tunisiens sont nos frères et nous partageons beaucoup de choses avec eux. Nous souhaitons que le pays préserve son indépendance. Le Maroc n’oubliera pas ceux qui l’ont soutenu dans sa cause nationale et ceux qui jouent sur les deux tableaux.” – Aziz Akhannouche, Premier ministre marocain
Cette prise de parole du premier ministre marocain Akhannouche fait suite à l’accueil du Chef du Front Polisario à Tunis en août 2022. En qualifiant cette visite de faute diplomatique de la part de la Tunisie, la diplomatie marocaine s’illustre à merveille, mettant en évidence sa stratégie binaire, en empêchant tout droit à la neutralité sous peine d’être considéré comme un ennemi.
Le déclin de la perspective d’une solution négociée
Face à l’échec des tentatives de négociations entreprises sous l’égide des Nations unies depuis 1991, le multilatéralisme n’apparaît plus comme une solution crédible et réaliste. Cette déroute du multilatéralisme laisse sa chance à l’unilatéralisme, à la solution politique plutôt que juridique. Constatant l’essor du soutien des puissances occidentales à la solution du Maroc, la pratique diplomatique marocaine du “avec ou contre nous” semble fonctionner. La pression faite sur l’Espagne est ici un exemple frappant de la stratégie marocaine, cette dernière ayant déclenché une crise migratoire dans l’enclave de Ceuta en 2021, territoire appartenant à l’Espagne, mais intégré au sein du territoire marocain.
Oscillant entre la volonté de ne pas se mettre à dos l’Algérie, un partenaire potentiel pour son gaz dans le contexte géopolitique de la guerre en Ukraine, et la soumission à la stratégie offensive marocaine, la société internationale fait preuve d’une passivité, se refusant donc de trancher ce litige.
Cette situation gelée semble éloigner la perspective d’une résolution pacifique et durable du conflit. Cet antagonisme apparaît comme une véritable bombe à retardement, l’Algérie n’étant pas non plus prête au compromis. Effectivement, bien qu’attachée en raison de son histoire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’Algérie semble utiliser cette cause pour empêcher le Maroc d’obtenir le leadership sur la région.