Le nom de Fred Zinnemann est trop peu connu et pourtant, quelle filmographie !
Alfred Zinnemann naît en 1907 à Rzeszów, en Galicie alors dans l’ancien Empire austro-hongrois, en Pologne après 1918. Dès lors commence un parcours quelque peu atypique pour le cinéaste méconnu du grand public aujourd’hui, qui a pourtant côtoyé les plus grands.
En 1929, Fred Zinnemann à 22 ans et part pour les Etats-Unis. Avant cela, il a suivi des études de droit et de violon à Vienne, avant de passer un an à Paris pour apprendre les techniques de prise de vues. C’est donc la tête remplie d’expériences et de connaissances diverses que Zinnemann se dirige vers les portes d’Hollywood. Vous l’avez compris, Fred Zinnemann, tout comme Fritz Lang par exemple, fait parti de ces nombreux réalisateurs ayant migré vers les Etats-Unis pour avoir de meilleures opportunités dans l’industrie cinématographique (et fuir la guerre pour certains) ; ils ont ainsi permis de renouveler les formes du cinéma Hollywoodien lui permettant de se diversifier et de marquer son âge d’or.
Dès son arrivée, Zinnemann a notamment été l’assistant d’un chef opérateur, aujourd’hui reconnu pour son œuvre, Eugen Schüfftan, sur le film Les Hommes le dimanche, aux côtés de Billy Wider. Il se rend ensuite aux portes des studios Universal muni d’une lettre de recommandation de Schüfftan : il est par la suite embauché en tant que figurant sur le tournage du film A l’Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, d’où il se fait virer pour s’être mêlé de technique avec l’assistant réalisateur. Cela en dit beaucoup sur la personnalité du réalisateur : passionné, perfectionniste, voué à être un grand réalisateur.
Peu après son arrivée à Hollywood, la carrière de Zinnemann prend un tournant lors de sa rencontre en 1931 avec le réalisateur Robert Flaherty, pionnier du cinéma documentaire et ethnographique avec son film Nanook l’esquimau en 1922. Les deux hommes travaillent pendant six mois à Berlin sur un projet documentaire consacré aux tribus d’Asie centrale soviétique, mais ce projet ne verra jamais le jour. Mais de son expérience avec le réalisateur, Zinnemann retient : « j’ai beaucoup écouté Flaherty et il est sans doute le cinéaste qui a le plus influencé mon travail. ». Une volonté de traiter des révoltes intimes et politiques, des valeurs héroïques et du refus des compromis va naître chez Zinnemann, une réflexion sur la dignité humaine. En 1933, Zinnemann peut enfin tourner son premier long-métrage au Mexique, Les Révoltés d’Alvarado, chronique stylisée d’une révolte de pêcheurs qui montre à la fois l’influence de Flaherty et d’Eisenstein sur son film.
Jusqu’en 1942, Zinnemann va réaliser de nombreux court-métrages pour la MGM, avant de revenir sur le format long-métrage avec L’Assassin au gant de velours. Après 4 autres films, 1949 est pour Zinnemann l’année de sa première nomination aux Oscars pour son film Les Anges Marqués, avec Montgomery Cliff, et emploi de enfants qui ont vraiment connu les camps, sujet principal du film. Par la suite, Zinnemann réalise coup sur coup deux films à grand succès : Le Train sifflera trois fois avec Gary Cooper (1952) et Tant qu’il y aura des hommes (1953) avec Burt Lancaster, Montgomery Cliff et Frank Sinatra, film qui critique avec violence l’impréparation de l’armée américaine avant Pearl Harbor et le sadisme de certains de ses officiers. Zinnemann est donc devenu un cinéaste d’importance qui traite des sujets d’importance, dont l’avant comme l’après Seconde Guerre Mondiale semble être un thème récurrent dans son cinéma, comme le traite également Acte de violence (1948) et C’étaient des hommes (1949), qui montre pour la première fois à l’écran Marlon Brando.
Après quelques films personnels, il rencontre de nouveau le succès en 1966 avec Un Homme pour l’éternité, évocation de la vie de Thomas More qui lui vaut un Oscar. Fred Zinnemann dirige ensuite Jane Fonda et Vanessa Redgrave dans la fresque historique Julia en 1977, et pour son dernier film en 1982, il dirige l’éternel Sean Connery dans Cinq jours ce printemps-là aux côtés de l’acteur Français Lambert Wilson, qu’il a déjà dirigé dans Julia. L’acteur est donc cette année invité au Festival pour présenter quelques-uns des films de Zinnemann. Le réalisateur meurt le 14 mars 1997 à Londres, des suites d’un infarctus.
Le nom de Fred Zinnemann est à jamais attaché à l’histoire du cinéma américain classique, dont il fut l’un des plus grands orfèvres, ayant notamment été récompensé par 6 Oscars.
Films présentés au Festival Lumières 2024 : Les Hommes le dimanche de Robert Siodmack et Edgar George Ulmer (1930) – Les Révoltés d’Alvarado (1936) – Acte de Violence (1948) – C’étaient des hommes (1950), Le Train sifflera trois fois (1952) – L’Invitée à la noce (1952), Tant qu’il y aura des hommes (1953), Au risque de se perdre (1959), Et vint le jour de la vengeance (1964), Un homme pour l’éternité (1966), Chacal (1973), Julia (1977), Cinq jours, ce printemps-là (1982
Les plus belles séances de la rétrospective Fred Zinnemann du Jean Moulin Post !
Séance du lundi 14 octobre : Le Train sifflera trois fois au Pathé Bellecour
Certains résument le film en disant que c’est simplement un Gary Cooper qui se fait vieux et qui arpente les rues désertes d’une petite ville américaine à la recherche d’aide pour faire la justice, tandis que d’autres y verront une forte critique du Maccarthysme. Dans tous les cas, il faut considérer ce film, High Noon (midi pile) de son titre original, comme un chef-d’œuvre du genre western, aussi atypique qu’il soit.
C’est l’acteur et invité du Festival Benicio Del Toro qui est venu présenter le film, accompagné du journaliste Didier Allouch. Grand cinéphile depuis son enfance, l’acteur nous expliquait sa relation avec le film : c’est l’un des premiers westerns qu’il a vu avec son père lorsqu’il était enfant alors qu’il vivait encore à Porto Rico ; et quelle claque cela a été pour lui nous a-t-il raconter.
En effet, Le train Sifflera trois fois tient sa renommée notamment de sa vibrante tension dramatique qui s’installe tout au long du film et qui tient le spectateur en haleine. Mais dans tout cela, qu’est ce que raconte le film ? Et bien lorsque l’ancien shérif Will Kane (Gary Cooper) s’apprête à quitter la petite ville de Hadleyville, au Nouveau-Mexique, avec sa nouvelle épouse, Amy, il apprend que le criminel Frank Miller, qu’il a fait condamner quelques années auparavant, a été libéré et vient se venger du shérif qui l’a dénoncé. Les acolytes de Miller l’attendent donc à la gare de Hadleyville, où il doit arriver par le train de midi. Kane choisit donc de faire marche arrière pour protéger sa ville une dernière fois, et cela malgré le fait que tout le monde lui dise de partir : il part donc en quête d’hommes de main pour arrêter une bonne fois pour toute Miller et ses hommes, mais c’était sans compter la lâcheté de ces derniers, laissant Kane seul face à son destin, seul face à la mort.
La question que l’on se pose tous est donc : est-ce que le train sifflera trois fois ? et bien même pas, lorsqu’il arrive en gare le train siffle quatre fois. Un vilain tour joué par les distributeurs français chargé de la traduction du titre original. Mais qu’est ce qui fait du film un chef d’œuvre ? Zinnemann organise comme un huit clos à travers la petite ville dans laquelle se déroule le film et dans laquelle Gary Cooper, shérif en bout de course, se déplace et semble prendre mur sur mur, c’est-à-dire qu’il arpente cette ville sans grand espoir, sachant qu’il n’obtiendra pas l’aide qu’il mérite. Le film est comme martelé par les plans d’horloges indiquant l’heure qui avance comme pour prévenir l’approche du jugement dernier pour Kane, ce qui augmente la tension dramatique que nous avons évoqué précédemment. Tout le montage sert cette tension, comme le montre également à plusieurs reprises les plans des rails de la gare indiquant l’arrivée imminente du train. Mais ce qui est d’autant plus marquant, c’est la musique de Dimitri Tiomkin et sa chanson Do not forsake me, oh my darling présente dès le début du générique et utilisée tout le long du film, musique qui retrace littéralement l’intrigue du film, procédé assez rare mais le spectateur est prévenu et attend le moment fatidique.
Fred Zinnemann a toujours contesté l’interprétation consistant à faire du film une allégorie anti-maccarthysme, dû aux allégations faites à l’encontre du scénariste du film, Carl Foreman, accusé d’être anti-américain. A propos du film, Zinnemann énonce : « Si c’est un western subversif, alors sa subversion peut ne pas être politique, il s’agit peut-être d’une attitude inconsciente, celle de voir attaqué le mythe classique du héros de western intrépide, le surhomme toujours victorieux. » Mais le cinéma de Zinnemann a toujours prôné la résistance contre tous les fascismes et tous les totalitarismes. Et c’est bien là le propos du film, Zinnemann nous met face à notre propre condition et questionne la dignité de l’homme, la loyauté envers ceux qu’on aime. Faut-il donc croire notre interprétation du film ou la parole du réalisateur ? Et bien à vous de vous faire votre propre avis !
Séance du jeudi 17 octobre : Acte de Violence au Pathé Bellecour
Septième long-métrage (solo) de Zinnemann, Acte de Violence est film qu’on pourrait qualifier de « osé » pour l’époque. En effet, sortie en 1948, Acte de Violence est un film d’après-guerre traitant de thématiques… d’après-guerre. Le film débute sur la vie paisible de Frank Enley, du moins jusqu’à ce qu’apparaisse Joe Parkson, revenu handicapé de la Seconde Guerre Mondiale, dont il en tient pour responsable Frank Enley, ainsi que de la mort de plusieurs soldats qui voulaient s’enfuir d’un camp de prisonniers, Parkson étant lui-même le seul survivant, servant sous les ordres d’Enley, leur officier, qu’il compte bien abattre. Se refusant à faire appel à la police, car cela reviendrait à se dénoncer pour trahison, Enley se résout à monnayer les services d’individus peu reluisants afin de se débarrasser de Parkson. Un sujet qui est donc particulier, une réalité marquante et qui a pu être difficile à accepter pour le public américain qui considérait ses soldats comme « les sauveurs du monde ». Le film joue donc sur les stéréotypes américains pour les renverser et s’intéresser plutôt à la question de l’humain, sa réaction face au surgissement du passé, sa capacité à gérer sa culpabilité, ce qui peut notamment mener à sa folie. Des thèmes qui sont récurrent du cinéma de Zinnemann
Le film appartient au genre du film noir. Le film noir est un genre cinématographique qui a émergé aux États-Unis entre les années 1940 et 1950. Il se caractérise par une atmosphère sombre et pessimiste, souvent marquée l’utilisation du noir et blanc, ainsi que par des thèmes de crime, de moralité ambiguë et de désillusion. Les histoires de films noirs mettent souvent en scène des détectives privés et des criminels, pouvant prendre le point de vue des deux et explorent des conflits psychologiques intenses. Le genre s’inspire souvent des romans policiers comme ceux de Raymond Chandler (Le Grand Sommeil, La Dame dans le Lac) pour qui l’écriture renvoie directement à l’esthétique décrite, intégrant des éléments de suspense et de drame psychologique.
De part les caractéristiques du genre, les films noirs ne sont jamais très long. Invité une nouvelle fois au Festival, le journaliste cinéma de France-Inter, Laurent Delmas, est venu nous présenter le film. Ce qu’il a dit de plus important sur la conception du film est ceci : le film va à l’essentiel. En effet, Acte de violence tel qu’il a été projeté ne fait qu’1 heure, 22 minutes ! Le réalisateur n’a donc pas le temps de s’attarder sur les détails. Et c’est bien ce qu’il fait, le film ne présente aucun temps mort, installant d’entrée une certaine tension qui s’accroît tout au long du film jusqu’à la scène finale. Cette tension est également dû au fait que le film ne présente pas de héros, comme dans la plupart des films noirs : que ce soit Frank Enley ou Joe Parkson, aucun de deux personnages ne véhiculent des valeurs que le spectateur veut partager : l’un veut tuer pour se venger, l’autre a collaborer avec l’ennemi. De ce fait, le spectateur ne peut pas vraiment prévoir ce qu’il va se passer à la fin du film. Bien sûr nous ne dirons rien sur cela, mais il faut tout de même préciser que dans le genre du film noir, il y a toujours quelqu’un qui finit par mourir…
S’il vous faut encore un argument pour aller voir le film, le réalisateur à succès Alfonso Cuarón (Gravity, Harry Potter 3, Roma…) était présent avec nous dans la salle pour voir le film en tant que simple spectateur. Même s’il avait déjà vu le film, le réalisateur mexicain profitait d’être invité au festival pour redécouvrir sur grand écran un film qu’il considère comme chef d’œuvre.