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lundi 13 janvier 2025

Le journal des étudiantes et étudiants de Lyon 3

Combat inachevé : la vision du viol dans notre société

Il est admis dans la magistrature pénale que le crime de « viol » est « insuffisamment caractérisé », mettant en échec le système des délits et des peines ; en effet, lorsque la victime d’agression sexuelle dépose plainte, il y a de fortes chances que cela n’aboutisse point.

La législation en matière de viol, connaît pourtant de grandes avancées des suites de grands procès médiatisés où la partie défenderesse pousse le juge à adopter une jurisprudence allant contre les mœurs largement défendues dans une société donnée.

Le procès d’Aix-en-Provence en 1978 marquera notamment un tournant dans la pénalisation du viol, qui n’avait pas été revu depuis la codification de Napoléon en 1810. Gisèle Halimi, avocate engagée dans le droit des femmes, aura à cœur dans ce procès de rendre compte de la gravité du crime du viol dans une mesure autant physique que morale.

Aux côtés de l’association « Choisir la cause des femmes », elle déclara : « En matière de viol, nous, dans notre mouvement, nous tenons à la publicité des débats parce que nous pensons que la femme victime ne doit pas se sentir coupable et qu’elle n’a rien à cacher. »

Bien que des avancées juridiques aient eu lieu, les préjugés sociaux et les difficultés judiciaires demeurent.

Au regard du procès Mazan, la victime, même lorsqu’elle est « parfaite » de par les preuves qui appuient les faits, reste soumise à une remise en question de son préjudice. C’est ce que semblait dire Guillaume Palma, avocat de six accusés au procès Mazan, en distinguant « viol et viol ».

En 2024, persiste un stigmate sur les victimes d’agressions sexuelles. Une certaine “impureté” reste particulièrement caractéristique à la personne agressée qui semble se couvrir d’un fort dépôt de honte.

Si celle-ci tend à se « laver » de ce dépôt, reste à affronter les mœurs collectives qui accusent l’individu affecté du préjudice subi.

Les mouvements Me Too des années 2010, qui visent précisément à encourager la prise de parole des femmes sur les agressions sexuelles n’ont pas su retirer de l’imaginaire collectif, la responsabilisation de la victime dans ce qu’elle a vécu.

S’ajoute à ces préjugés, un fort populisme qui crée une victime « légitime » en opposition avec une victime qui l’est « moins ». Il est socialement perçu que le viol commis par un « étranger » doit forcément aboutir à une condamnation tandis que le viol commis par un proche de la victime fait encore part d’un déni commun.

En outre, le viol exercé par un « étranger » fait l’objet d’une forte récupération politique qui doit nous alarmer sur la désinformation ; lorsque qu’en 2019, Marine Le Pen affirme que « 52 % des auteurs de viol à Paris sont étrangers », elle ne prend pas en compte la nuance du chiffre portant sur un maigre échantillon qui n’est pas constitutif de la réalité des faits.

Cet échantillon portant sur les dépôts de plainte à Paris est davantage à nuancer quand l’on sait que 81 % (Radio France) des victimes d’agressions sexuelles ne se déplacent pas en gendarmerie, commissariat et ne déposent jamais plainte.

En 2018, le journal Le Monde, relaye un rapport publié par Marie-Pierre Rixain, (ancienne Présidente de la délégation des droits des femmes à l’Assemblée nationale) la députée Sophie Auconie et Hélène Furnon-Petrescu (cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité Homme Femme) rappelant que dans 91 % des cas, la victime connaissait l’agresseur.

Le crime de viol, lorsqu’il est commis par un proche, complique davantage le processus de réparation de la victime.

D’un point de vue juridique, la preuve est un apport complexe dans ce type d’affaires.

En premier lieu, existe un consentement présumé. Dans le cadre d’une vie commune ou amoureuse, ou d’un évènement particulier, type fête, le consentement de la victime est admis de fait ; la relation sexuelle est naturelle dans certaines relations et les agresseurs semblent parfois en vouloir pleine disposition.

De surcroît, la définition juridique du viol implique « une contrainte, une menace, une surprise ou une violence » ; or lorsque l’agresseur est connu, la victime octroie pleine et entière confiance. De ce fait, il est donc difficile par la suite de démontrer les faits constitutifs du crime.

La charge de la preuve qui incombe à la victime est amoindrie et dans la majorité des cas ne permet pas aux juges d’appliquer une peine, ceux-ci ne pouvant pas reconnaître le crime.

Selon le quotidien 20 minutes, lorsque 86 % des violences sexuelles sont classées sans suite, 72 % de celles-ci concernent des viols réalisés dans un cadre conjugal.

Véronique Le Goaziou, sociologue, dans « Le viol, aspects sociologiques d’un crime » affirme que le viol conjugal, bien que reconnu depuis 1986 « est difficile à prouver au niveau judiciaire car le viol suppose une absence de consentement ; son absence est difficile à établir. ».

Laurent Mucchielli, sociologue français spécialiste de la pénologie, dans son enquête sur le viol indique « le viol demeure avant tout un crime de proximité, c’est-à-dire se produisant dans le cadre de l’interconnaissance voire de l’intimité. Environ 85 fois sur 100, auteurs et victimes se connaissent. »

Lorsqu’une personne est agressée par quelqu’un en qui elle avait confiance, les impacts psychologiques sont profonds.

La psychologie s’accorde à définir un processus complexe dans lequel s’engouffre la victime d’agression sexuelle.

Pour se protéger de la violence de l’acte subi, les survivants d’agression sexuelle passe par une étape de déni, dans laquelle il est impossible de reconnaitre le préjudice subi et sa gravité.

Le déni dépassé, survient une grande anxiété qui inquiète la victime de revivre son agression. Cette forte anxiété s’accompagnera d’un fort sentiment de honte voire même de culpabilité.

Lorsque l’auteur de l’infraction était connu, il est d’autant plus difficile pour la victime d’entamer son processus de réparation psychologique ; connaître son agresseur, l’aimer surement, tourmente la victime dans la reconnaissance même de son agression puis sa responsabilité dans celle-ci.

La spécialiste Véronique Le Goaziou aura les mots suivants « C’est beaucoup plus difficile quand il s’agit d’un proche. Il faut du temps pour maturer, comprendre qu’il s’agit d’un crime. Dénoncer pose des dilemmes : par manque de preuves la plainte peut ne pas aboutir. {…}Le « meurtre du consentement » est un crime invisible. La stricte pénalisation du viol est insuffisante et il faut mettre en œuvre un travail de réparation. La condamnation est un temps fondamental mais insuffisant. Les victimes ont besoin de soutien. »

L’expression « meurtre du consentement » est ici entendu comme l’idée que le consentement de la victime a été annihilé par la violence ou la contrainte de l’agresseur. Le terme est fort et cherche à mettre en lumière l’impact destructeur du viol sur la victime et l’autonomie de ses choix.

Force est de constater que les défis restent nombreux en ce qui concerne le viol, autant d’un point de vue sociétal que judiciaire. Les grands procès médiatisés tels celui de Aix-en-Provence ou l’actuelle procès Mazan ouvrent certes certaines portes à la remise en question, notamment en ce qui concerne la législation, mais cela reste insuffisant ; selon l’Humanité, 86 à 94 % des affaires de viol sont classées sans suite.

Ce chiffre interpelle sur la compétence de la justice qu’elle soit punitive ou réparatrice.

Rappelons que la magistrature souligne le manque de caractérisation de la définition pénale du crime de viol.

En outre, les racines sociales du crime de viol restent taboues et ne permettent pas aux victimes d’entamer un processus de réparation psychologique complet.

L’enjeu des prochaines décennies reste encore d’aboutir à une meilleure prise en charge des victimes.

Sources :
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