Les propos figurant dans cet article n’engagent que leur autrice, le Jean Moulin Post prône une liberté d’opinion et se porte garant d’une démarche déontologique. Cet article a été rédigé en octobre 2024.
La séquence politique du début de l’été fut éprouvante. À tous les niveaux. Pendant près d’un mois, nous étions suspendus aux résultats d’une élection qui aurait pu sonner la fin d’une ère et le commencement de quelque chose d’inédit. Nous étions énormément à craindre pour nos vies ou tout simplement pour celles de nos proches ou de nos amis. J’ai notamment une pensée particulière pour les personnes LGBT+ qui font face à une terrible recrudescence des violences en 2024. Il n’est donc pas déraisonnable de penser qu’une victoire du RN aurait accentué ces violences lgbtphobes. Cependant, dans le tumulte de ces élections législatives anticipées, un constat qui paraissait d’abord absurde m’a sauté au visage : une part non-négligeable de l’électorat LGBT+ fait le choix de l’extrême droite et du RN. On peut se poser légitimement la question : qu’est-ce qui pousse des personnes concernées par l’homophobie à faire le choix d’un parti historiquement homophobe ?
Tout d’abord, il est intéressant, je pense, de se pencher sur les intentions de vote. Une partie un peu complexe à aborder car peu d’études sont faites sur le sujet, surtout en ce qui concerne le vote des personnes trans qui est très peu documenté. Ici, on se concentrera donc dans les faits un peu plus sur le vote des personnes « LGB » (je continuerai à utiliser le terme LGBT+ ou queer pour plus de clarté). En France, le sociologue Mickael Durand a étudié la question dans une étude assez fournie pour Politis dans laquelle il dresse notamment plusieurs profils sociologiques et l’implication de la sexualité dans le choix de vote de ces profils types. Cela nous servira plus tard à expliquer certaines motivations du vote LGBT+ d’extrême droite. En ce qui concerne les dernières élections présidentielles de 2022 (sans doute l’indicateur le plus récent sur lequel on a le plus de recul), le magazine TETU avait publié une enquête de l’IFOP sur les intentions de vote des LGBT+. Dans cette étude faite un mois avant le premier tour, il était indiqué que 17% des personnes queers comptaient voter pour Marine Lepen. Si l’on additionne avec les intentions de vote pour Éric Zemmour, on arrive à 28% de LGBT+ enclins à l’extrême droite. Une proportion qui n’est donc pas négligeable du tout. On trouve plusieurs éléments de réponse dans les travaux de Mickael Durand. Un point important à souligner est que chez les personnes homosexuelles, la sexualité est un déterminant secondaire du vote. Peu de personnes politisent réellement leur appartenance sexuelle, et dans le cas des personnes le plus à gauche cela va plus rentrer dans un ensemble global de valeurs. Comme une sorte de critère supplémentaire qui va justifier leur choix. Comme Mickael Durand le souligne très bien, lorsque l’on vote, on procède à une hiérarchisation des critères et caractéristiques nous définissant. En l’occurrence, c’est bien souvent le milieu et la classe sociale de l’individu qui priment, allant de pair avec son éducation politique. Il n’est donc pas rare de constater des personnes ayant grandi dans une famille plutôt à droite ou conservatrice qui, malgré la découverte de leur homosexualité et la fréquentation de lieux de sociabilité queers, votent en accord avec leur milieu social d’origine. Dans cette même logique, Mickael Durand notifie de plus que beaucoup d’électeurs LGBT+ du RN sont également issus des classes populaires et que je cite : « Au fond, les mécanismes d’attraction des LGB vers le RN sont les mêmes que ceux à l’œuvre chez les hétérosexuels. Comme je l’ai déjà souligné, les LGB ne sont pas que des LGB. Ce sont aussi, parfois, des personnes issues des classes populaires, qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois, qui ont grandi dans des milieux conservateurs, qui subissent de plein fouet les politiques néolibérales, qui ont un sentiment d’insécurité… autant d’éléments qui font qu’ils et elles peuvent être séduits par les promesses du RN.». Il est en effet vrai que les classes populaires sont souvent invoquées dans les discours d’extrême droite, peut-être pourrions-nous dire que l’extrême droite instrumentalise leur sentiment d’injustice, d’être laissés pour compte ou même d’insécurité.
Parlons justement d’insécurité. Le RN s’en sert aussi pour attirer l’électorat LGBT+. Peut-on encore une fois voir l’instrumentalisation de la peur que peuvent ressentir les personnes queers rien qu’en existant dans l’espace public ? Rappelons qu’en 2023, SOS Homophobie enregistrait près de 2377 cas de violence lgbtphobes, dont 11% impliquant une agression physique. Un nombre en forte hausse par rapport aux années précédentes, sans parler des menaces et du harcèlement subi en ligne. Face à ces violences, le RN et l’extrême droite ont une réponse toute trouvée ; ils invoquent l’homonationalisme. Il s’agit d’une rhétorique fallacieuse qui suggère que les violences homophobes ne seraient que le fait de personnes racisées et issues de l’immigration. Un peu comme avec les violences sexistes et sexuelles, certains pourraient penser que l’extrême droite ne dénonce l’homophobie que lorsque cela entretient leur narratif raciste et xénophobe. Par exemple, lors du débat des élections législatives du 27 juin 2024, Jordan Bardella face à Gabriel Attal et Olivier Faure rétorque qu’il y aurait des « quartiers où il ne fait bon d’être ni juif, ni homosexuel, ni une femme », car « on a fait venir sur le sol français des gens qui rejettent toute forme de différence.». Cet argument homonationaliste est repris par les militants gays du RN et il survient surtout dans un second temps, comme une façon de politiser leurs sexualités. Cependant, on voit très vite le problème avec cette rhétorique. Primo, le double standard évident car comme dit plus haut, l’homophobie est condamnée seulement lorsque cela sert leur discours. Comme avec l’affaire Milla que l’extrême droite s’est largement réappropriée pour justifier leur islamophobie. À l’inverse par exemple, on ne les a pas entendu commenter les révélations sur le collège Stanifslas, établissement privé pointé du doigt pour ses nombreux cours et ses propos homophobes. Secundo, l’extrême droite reproche à l’islam son hostilité vis-à-vis des LGBT+ mais omet celle des autres religions qui est tout aussi grave et répandue. Des pays de culture chrétienne sont tout aussi hostiles aux LGBT+, pensez à la Pologne, la Russie ou encore les Etats-Unis. Tercio, ce que l’extrême droite oublie de mentionner c’est que l’homophobie systémique des pays dont sont originaires les personnes immigrées est bien souvent l’héritage de la colonisation européenne. Importée via les codes coloniaux ou le christianisme. On comprend donc que l’homonationalisme n’est qu’une stratégie pour feindre une façade LGBT+ friendly. Si on gratte un peu le vernis, il semblerait que le RN continue de pointer du doigt les personnes LGBT+.
« Je confesse qu’il doit y avoir des homos au FN, mais il n’y a pas de folles. Les folles on les envoie se faire voir ailleurs ». C’est que disait Jean-Marie Lepen en 1995 à propos des homosexuels susceptibles d’adhérer au RN. On me dira que le fondateur du Front National n’en est pas à sa première case dans le bingo des propos problématiques nauséabonds. Cependant, je trouve que cette citation traduit d’une tendance qui semble toujours assez répandue à l’extrême droite et à droite. Le rejet de la « folle » si l’on veut reprendre les mots du père Lepen, ou de toute personne queer qui serait trop « démonstrative », « revendicative » ou qui « afficherait sa sexualité ». Cette figure stéréotypée est alors antagonisée, mise en opposition avec la personne queer qui serait « discrète », « pas trop militante » et donc en définitif plus acceptable et respectable. Les adhérents ouvertement gays mis en avant au Rassemblement National s’inscrivent plutôt dans cette dernière tendance. Ils invoquent souvent une certaine « respectabilité » ou un « droit à l’indifférence » et se montrent très critiques de ce qu’ils qualifient d’ « idéologie LGBT+ » ou de « propagande LGBT+ ». Le député RN Sébastien Chenu nous en a donné un exemple édifiant récemment en qualifiant la séquence dédiée au drag dans la cérémonie d’Ouverture des Jeux Olympique de Paris de « traveloteries ». Cette injonction au conformisme est dangereuse, et peut être une manière insidieuse d ‘invisibiliser les personnes comme les problématiques LGBT+. C’est surtout oublier que, à l’image de tous les êtres humains vivants sur Terre, les identités et les vécus des personnes queer sont pluriels et uniques. De plus, je ne peux pas m’empêcher de penser que le RN se sert à dessein de cette injonction à la discrétion, pour attirer des profils peu politisés ou peu au fait de cette culture ou de cette histoire justement, ou qui n’en comprennent pas forcément les enjeux. La drag queen La Big Bertha expliquait par exemple que dans ses détracteurs d’extrême droite, elle retrouvait beaucoup de personnes queers qui ne se rendent pas compte de l’importance qu’ont les artistes drag dans la lutte et dans la remise en question des normes de genre. Christophe Martet, l’ancien président de Act Up, note également qu’il est illusoire de penser que personnes LGBT+ seraient forcément de gauche et à la pointe du militantisme, que les plus jeunes notamment ne sont pas forcément au fait des luttes passées et ont plus le sentiment que les droits et l’égalité sont désormais acquis. Spoiler, ce n’est malheureusement toujours pas le cas. Parce qu’il y a toujours des violences, des inégalités et de nouveaux droits à acquérir. Parce qu’il y a toujours des enfants, des ados, des adultes jeunes comme vieux, bloqués dans le placard par peur de montrer à leur entourage qui ils sont réellement. Pour preuve, la nomination récente d’un gouvernement comptant un grand nombre de figures de droite conservatrice suscite une inquiétude profonde que des droits que l’on pensait actés soient retirés.
Une fois ces constats posés, je m’adresse à vous, électeurs queers du RN. Que vous ne vous retrouviez pas dans le militantisme LGBT+ ou la culture qui y est rattaché, soit. Bien que vous passiez à côté de plus d’un demi-siècle de lutte afin de ne plus être considérés comme des personnes malades ou des criminels. Mais soit, vous en avez tout à fait le droit. Comme dit plus haut, nos identités sont plurielles et uniques. Cependant, vous ne pouvez pas tomber dans les éléments de langage du RN visant à dénigrer des personnes comme vous et moi car ne rentrant pas dans la norme. De même que vous ne pouvez pas tomber dans l’argumentaire xénophobe de l’homonationalisme qui ne sert qu’à vous manipuler et jouer sur vos peurs. Ce parti ne protègera ni ne défendra vos droits. Tout simplement car, malgré sa prétendue façade LGBT+ friendly, l’extrême droite était, est et ne sera jamais un allié. Historiquement, elle s’est toujours opposée à l’ouverture de nouveaux droits. Aujourd’hui, à tous les niveaux de gouvernance, le RN et l’extrême droite votent et agissent de façon systématique contre les intérêts des personnes LGBT+. Au niveau local, on peut citer des élus et conseillers municipaux qui refusent les subventions aux associations de défense des droits LGBT. Du côté étudiant, La Cocarde Etudiante s’illustre aussi localement via ses branches. L’association d’extrême droite se scandalise de la tenue de drag shows dans les universités ou encore de programmes d’élections qui osent mentionner le terme LGBT ou les études de genre. Au niveau national, si le RN ne touche plus aux droits acquis, il ne compte pas en ouvrir d’autres. Notons également le lancement d’une association parlementaire par des députés RN en 2023 dont le but est de combattre la « propagande LGBT » à l’école et la « menace transgenre » dans le sport. Sur le même sujet, le parti avait déposé une proposition de loi visant à bannir les sportifs trans des compétitions par exemple. Et ce n’est pas fini, les députés européens du RN ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse de votes pour interdire les thérapies de conversion au niveau européen, de proclamer l’Union Européenne de Zone de Liberté LGBTI ou de condamner les lois homophobes de pays membres comme la Pologne ou la Hongrie, l’extrême droite est systématiquement contre. En parlant de la Pologne et de la Hongrie, le RN les soutient même publiquement, avec d’autres pays homophobes. Comme la Russie de Vladimir Poutine qui fait arrêter des personnes queers ou des militants pour « extrémisme LGBT » ou l’Italie de Georgia Meloni qui restreint les droits des familles homoparentales. Ces pays sont d’ailleurs un exemple flagrant de scénario probable en termes de répression des droits si l’extrême droite arrive au pouvoir en France. Durant toute la période des législatives, on a même assisté à une recrudescence des actes racistes et homophobes. Comme ces militants d’extrême droite qui avaient hâte du 7 juin pour pouvoir, je cite « casser du pédé ».
Dans son essence même, l’extrême droite représentée par le Rassemblement National a toujours été une menace existentielle. Quatre-vingts ans plus tôt, cette même extrême droite a participé à la déportation d’homosexuels, le FN à son origine a été fondé par des Waffen SS qui ont collaboré de leur plein gré avec le régime nazi. Il est illusoire de penser que ce même parti pourrait être un allié fiable. Attention, ça ne veut certainement pas dire que les autres familles politiques françaises n’ont pas leurs biais homophobes ou des améliorations à effectuer sur le sujet. Il me semble tout de fois important de souligner que les plus grands progrès accomplis n’ont pas été rendus possibles par la droite ou l’extrême droite. C’est un gouvernement de gauche qui a dépénalisé l’homosexualité en 1981. C’est un gouvernement de gauche qui a instauré le PACS en 1998. C’est un gouvernement de gauche qui a légalisé le Mariage Pour Tous en 2013. Mariage Pour Tous que Marine Lepen souhaitait supprimer jusqu’en 2017. De manière générale, toutes les mesures suscitées ont été rejetées par sa famille politique, et celle-ci continue de bloquer avec une partie de la droite d’autres avancées potentielles.
Gardons bien cela à l’esprit, d’autant plus en ces temps troublés où le pouvoir semble de plus en plus se droitiser, l’extrême droite est un réel danger pour toute minorité discriminée. Nous nous devons tous d’être vigilants et de réfléchir collectivement à ce qu’impliquerait un gouvernement d’extrême droite pour nos vies et celles des autres. Et si vous ne vous sentez pas encore assez concernés, essayez de vous projeter. Pensez aux femmes, aux personnes précaires, en situation de handicap, racisées, d’origines étrangères, etc… À toutes ces personnes dont la vie pourrait être menacée. Être LGBT+ n’est peut-être pas ce qui vous définit le plus en tant qu’humain mais pour l’extrême droite, cela fait de vous une cible politique.