En à peine dix ans, Aya Nakamura a véritablement réécrit l’histoire de la musique francophone.
Avec trois concerts à guichet fermé à l’Accor Arena de Bercy en un temps record : elle réalise un exploit rare, réservé aux légendes. Mais pour cette artiste franco-malienne, ce n’est qu’un début. Avec 3,4 milliards de streams sur Spotify, elle est l’artiste féminine d’origine africaine la plus streamée au monde, surpassant des icônes établies.
Ce dimanche 23 février a marqué un tournant : son titre Djadja (2018) a atteint les 1 milliard de vues sur YouTube en moins de six ans, faisant d’elle l’artiste francophone la plus rapide à atteindre ce cap. Un succès qui l’a propulsée dans un cercle restreint, aux côtés de Beyoncé, Rihanna, Nicki Minaj, Whitney Houston et Cardi B, comme l’une des rares femmes noires à hisser un clip au-delà du milliard de vues.
Son influence dépasse les frontières : qu’il s’agisse de featuring avec des artistes internationaux comme Maluma, ou qu’il s’agisse des apparitions aux Jeux Olympiques de Paris et au Vogue World, le phénomène Aya semble être incontestable. À l’international, les mélodies d’Aya Nakamura battent les records d’Édith Piaf, et font notamment danser Rihanna ou Madonna, prouvant que la pop francophone peut conquérir le monde.
Née à Bamako et élevée à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, Aya Nakamura incarne une fierté diasporique. « Honnêtement, moi je sais là d’où je viens et je sais que j’en ai inspiré plus d’une donc je suis très fière », a-t-elle déclaré, trophée en main.
Ses couvertures de Vogue France, Forbeset Vanity Fair symbolisent une révolution médiatique : une femme noire, fière de ses racines maliennes, occupe désormais les premières pages et devient même égérie de marque de luxe comme Lancôme. « Être artiste féminine, noire, et qui vient de banlieue, c’est très très difficile », a-t-elle rappelé en recevant la Flamme de l’artiste féminine de l’année.
Toutefois, cette validation par la société n’a pas toujours été acquise pour Aya et reste aujourd’hui très controversée. Malgré ses triomphes, Aya Nakamura subit une haine ciblée, mélange toxique de racisme et de sexisme : le misogynoir. En ce sens, ce concept, popularisé par la chercheuse américaine Moya Bailey pour décrire la haine spécifique envers les femmes noires à l’intersection du racisme et du sexisme, trouve en Aya Nakamura un exemple criant en France. Comme le souligne l’article de Madmoizelle, son succès dérange car il incarne une réappropriation de l’espace public par une femme noire, jeune et issue des quartiers populaires, là où la société française peine encore à accepter leur légitimité culturelle. Les attaques qu’elle subit – qualifiée de « vulgaire » pour ses tenues ou ses paroles, accusée de « manquer de classe » – ne sont pas neutres : elles traduisent un refus de voir une artiste noire contrôler son image et son récit.
Lors de la polémique des Jeux Olympiques 2024, les critiques ont largement dépassé le cadre artistique. Des médias et personnalités politiques ont instrumentalisé son style pour alimenter un discours xénophobe, la réduisant à un stéréotype de la « banlieusarde indigne ». Comme le rappelle Madmoizelle, ce traitement médiatique est symptomatique d’un système qui infantilise ou exotise les femmes racisées, mais les punit dès qu’elles revendiquent leur pouvoir. Aya Nakamura, en refusant de se conformer aux attentes respectables (silence, modestie, assimilation), devient une cible parfaite.
La catégorisation de sa musique est un autre exemple de ces phénomènes : qualifiée à tort de « urbaine » ou « rap » en France, son catalogue relève pourtant d’une pop aux influences afro et électro. « Je ne sais pas comment ils ont pu qualifier ma musique d’urbaine, peut-être parce qu’il y a beaucoup d’argot dans mes textes. Moi, je dirais qu’elle est plutôt pop », explique-t-elle.
En célébrant ses origines, en mixant français et argot, en collaborant avec des géants internationaux, elle déjoue les cases dans lesquelles on veut enfermer les femmes noires. Son cas rappelle que le misogynoir n’est pas une fatalité individuelle, mais un système à démanteler – et que chaque record qu’elle bat est une brèche dans ce mur.